Astrophysique. Conclusions d'une expérience spectaculaire.
L'Univers est plat comme une limande
Par Sylvestre HUET

mercredi 16 octobre 2002
 
 

A l'échelle de l'ensemble de l'Univers, la lumière se déplace en ligne droite, autrement dit son contenu matériel et énergétique ne le courbe pas.

  Vu de la nuit polaire, l'Univers est plat. C'est du moins la conclusion que tire une équipe internationale, dirigée par Alain Benoît (CNRS). Et cela à l'issue d'une spectaculaire expérience d'astrophysique, menée l'hiver dernier depuis la base de Kiruna, en Suède. Les conclusions ont été présentées la semaine dernière à Houston lors de la 34e conférence Cospar (1).

Enfance du cosmos. Ce jour-là, ou plutôt cette nuit-là ­ le 2 février, Kiruna était plongée dans la nuit polaire ­ avait été choisie pour son absence de Lune. Un énorme ballon, conçu par les experts du Cnes, l'agence spatiale française, a emporté le télescope Archéops jusqu'à 33 kilomètres de hauteur. Mission : enregistrer, pendant douze heures et sur 30 % du ciel, le «rayonnement fossile» émis dans l'Univers tout entier environ quatre cent mille ans après le big-bang, survenu il y a 15 milliards d'années. Découvert en 1965, le rayonnement fossile est l'un des piliers de la théorie du big-bang. Pourtant, ce n'est qu'en 1992 qu'un satellite de la Nasa est parvenu à y discerner des variations spatiales d'intensité, signe de la répartition de la matière lors de l'enfance du cosmos.

Depuis, plusieurs télescopes sous ballon (Libération du 2 juin 2000) ont affiné cette image et préparé les futurs satellites, comme Planck-Surveyor que l'Agence spatiale européenne doit lancer en 2007. Archéops est le dernier en date, et il confirme un étonnant résultat de ces observations délicates : l'Univers est plat. Désespérément plat. 

Derrière cette affirmation aussi simple que déroutante ­ l'Univers plat comme une limande ? ­ se cache une vision grandiose mais peu intuitive. La platitude dont parlent les astrophysiciens est celle de la géométrie de l'Univers. Dire qu'il est plat signifie qu'à l'échelle de l'ensemble de l'Univers, la lumière s'y déplace en ligne droite, autrement dit que son contenu matériel et énergétique ne le courbe pas, à l'instar de la courbure infligée à l'espace local par le Soleil comme l'avait prédit Albert Einstein.

Taches homogènes. L'observation d'Archéops qui permet de tirer un tel portrait de l'Univers, comme pour ses prédécesseurs, porte sur des taches homogènes du rayonnement fossile, taches dont la taille réelle est connue par calcul. Et, comme la taille observée correspond justement à la taille calculée, c'est qu'elle n'a pas été déformée par un Univers dont la géométrie serait sphérique ou hyperbolique, détournant ainsi les photons fossiles de la ligne droite.

Energie inconnue. L'ennui, ou le délice, de cette platitude, c'est qu'elle suppose, ipso facto, une densité universelle de matière et d'énergie... très supérieure à celle que l'on observe. Toute la matière lumineuse (étoiles, gaz) et connue n'en constitue que 5 %. Si l'on y ajoute la «masse manquante» dont la nécessité est acceptée depuis un demi-siècle pour expliquer le mouvement des étoiles et des galaxies, on parvient à 30 % du total exigé. Bilan : 70 % de la matière ou de l'énergie du Cosmos est d'une nature totalement inconnue. A ce détail près que ces 70 % sont de nature radicalement différente, exerçant une force répulsive à grande échelle, une sorte d'antigravitation.

(1) Committee on Space Research. 34e assemblée scientifique, Houston (Etats-Unis) 10 au 19 octobre.